CONTEXTE
Figurant parmi la liste des critères d’attribution de l’article R 2152-7 du Code de la Commande Publique (CCP), l’Analyse en Cycle de Vie (ACV) a encore été très peu été expérimentée dans les appels d’offres des 130.000 acheteurs publics de France. Faute de méthodologie approuvée, la sécurité juridique du processus d’achat reste le principal frein à travers le nécessaire respect des principes fondamentaux de la commande publique.
L’ACV suscite de nombreuses interrogations des acheteurs publics mais surtout d’attente en termes de méthodologies adaptées pour concilier les sphères juridiques, économiques et environnementales d’un projet et tendre vers davantage de neutralité carbone. En vertu de l’Article 36 de la loi Climat et Résilience entrée en vigueur en août 2021, l’Etat français s’est engagé à mettre à disposition des outils opérationnels de définition et d’analyse du coût du cycle de vie pour les principaux segments d’achat.
LA VOLONTÉ DE LMH DE GÉNÉRALISER L’ACV DANS SES APPELS D’OFFRES
Le bailleur social Lille Métropole Habitat (LMH) travaille depuis de nombreuses années sur l’évaluation environnementale de ses opérations, en tant qu’outil d’aide à la décision et d’éco-conception. Cela s’est traduit notamment par la mise en œuvre d’ACV réalisée sur différentes opérations : réhabilitation résidence « Brève-Breughel » et résidence « Nouveau Wavrin ». En 2021, LMH a souhaité intégrer de manière systématique l’ACV comme critère de notation dans ses appels d’offres pour les opérations de construction neuve comme de rénovation.
MÉTHODE ACV MULTICRITÈRES DÉVELOPPÉE POUR DES MARCHÉS DE TRAVAUX DE RÉNOVATION ET DE CONSTRUCTION NEUF
Pionniers, le CD2E et LMH ont développé une méthode d’évaluation des offres sur la base d’une ACV multicritères pour une opération de construction de logements sociaux, intervenant de la conception jusqu’à la vérification de fin de travaux. L’objectif est double : définir un critère de notation des offres basé sur l’ACV et challenger les propositions des candidats dans une démarche d’écoconception. Le référentiel méthodologique prescrit pour la réalisation de l’étude est celui du référentiel Energie-Carbone (pour le neuf comme pour la réhabilitation), en exigeant des candidats de préciser les impacts globaux de leurs projets projet mais également décomposés sur les 4 contributeurs (Produits de Construction et Equipements, Chantier, Consommation d’énergie et Consommation d’eau) pour 9 indicateurs pondérables. Le candidat est également tenu de fournir l’ensemble des FDES et PEP utilisées pour la modélisation.
Les indicateurs issus du référentiel ont été retenus parce qu’ils répondaient à trois critères :
- Cohérence des indicateurs avec les enjeux environnementaux du secteur de la construction,
- Sensibilité du MOA aux enjeux environnementaux portés,
- Compréhensibilité des indicateurs par les chargés de mission du MOA.
Intégrée dans les dossiers de consultations des entreprises pour la maîtrise d’œuvre et dans les différents lots de travaux, l’ACV mise en œuvre aboutie à une analyse complète du projet en phase de sélection des offres notamment pour la maîtrise d’œuvre, les étapes de la conception, avec l’ambition de simplifier la démarche d’éco-conception dans la compréhension des impacts du projet, de définir une notation rapide, cartésienne tout en challengeant à chaque étape les candidats sur le projet présenté. Il est recommandé que le maître d’ouvrage soit accompagné d’une assistance à maîtrise d’ouvrage de la qualité environnementale des bâtiments (dite AMO QBE) pour piloter la démarche et pour centraliser les données dans une optique d’amélioration environnementale continue du projet.
En matière de commande publique, la méthode de notation de l’ACV est une clé incontournable à verrouiller pour garantir la sécurité juridique des procédures ainsi que pour départager techniquement et équitablement les candidats. L’enjeu de cette méthode est de fournir un cadre méthodologique simple au maître d’ouvrage pour noter et comparer les offres des candidats.
Les différentes expérimentations mettent en évidence à la fois les bénéfices de l’ACV et les difficultés rencontrées par les acteurs au cours du processus. La complexité apparente est rapidement dépassée une fois le cadre établi (indicateurs retenus, méthode d’évaluation, outils…), balayant les freins juridiques associés aux principes fondamentaux de la commande publique.
Bien que la RE2020 en France va imposer aux acteurs du bâtiment une nécessaire adaptation, on peut s’interroger sur les limites de l’ACV en termes d’accessibilité à la commande publique pour les PME familiales et de la difficulté à répondre à ce nouveau challenge. La généralisation de l’ACV dans la rénovation et la construction impliquera une démarche de simplification et de pédagogie envers l’ensemble des acteurs du secteur économique.
Les prochaines étapes consisteront à consolider la méthode développée en prenant davantage en compte l’impact économique du recours à l’ACV dans les appels d’offres, ainsi qu’en développant des clauses sanctionnant un prestataire ne jouant pas le jeu et à l’inverse des clauses incitatives pour un partenaire cherchant à optimiser l’impact environnemental du projet dans le respect du budget alloué.
La méthodologie développée ainsi que les retours d’expériences ont été valorisés dans le guide d’Alliance HQE dédiée à l’ACV qui sera prochainement publié. La méthode AVC sera également diffusée largement sur l’outil : laclauseverte.fr pour permettre aux acheteurs de s’inspirer de cette initiative et de capitaliser sur ce retour d’expérience.
La présente méthode, développée initialement avec Romain Vermaut, Directeur des opérations immobilières, sera expérimentée dans les marchés publics de la CARSAT Hauts-de-France, avec la volonté de s’insérer dans cette démarche vertueuse et d’avenir.